Avec la démission de Soro Guillaume de la Présidence de l’Assemblée Nationale, l’actualité politique ivoirienne s’enrichit chaque semaine d’un nouvel évènement depuis l’éclatement de l’affaire EHOUO JACQUES. Cette affaire de la magistrature de la mairie du plateau, centre d’affaires du pays, qui a mêlé pressions politiques, lobbying et intimidation judiciaire, avait laissé place à cette autre affaire impliquant un autre député, condamné à 1 an de prison contre toutes les exceptions de règles de droit pour un Tweet « mensonger ». Alain LOBOGNON, proche de Soro Guillaume, semble pour certains payer pour sa proximité avec l’ex-Président de l’Assemblée nationale, que pour le caractère tendancieux de son Tweet.
De Jacques Ehouo à Soro Guillaume…
Soro Guillaume, dont l’attitude agaçait le pouvoir en place, avait depuis plusieurs mois affiché son opposition ouverte au chef de l’État Alassane Ouattara. Il a été au centre de l’actualité politique de la semaine écoulée, avec en toile de fond une procédure de démission enclenchée. Si l’opinion publique avait du mal à cerner l’attitude de l’ex-président de l’Assemblée nationale, il n’en demeure pas moins que ses relations avec le chef de l’État étaient devenues exécrables. À Daoukro, le 17 décembre, il s’était affiché avec Henri Konan Bédié, président du PDCI-RDA, dansant ensemble, comme pour faire le pied de nez à Ouattara, qui venait de perdre un allié de taille de la coalition qui l’avait porté au pouvoir en 2010. Mais au-delà des intimidations, des guerres à fleurets mouchetés par coups de communication, que valait Guillaume Soro ? Que lui doit le président Ouattara ?
SORO GUILLAUME, UN VISAGE POUR LA RÉBELLION DE 2002
Nous sommes en septembre 2002 quand la Côte d’Ivoire se réveille fortement secouée par de violents combats qui affichent à leur compteur morbide, plus de 300 morts, avant d’aboutir à la partition du pays. Dans la perspective de rechercher la paix, sous l’égide du Président Gnassingbé Eyadema du Togo, les autorités ivoiriennes sont invitées à des pourparlers à Lomé (Lomé 1 et 2 en 2003). Au cours de ceux-ci, les Ivoiriens découvrent le visage officiel des assaillants, en la personne de Soro Guillaume. Homme de mission certainement pour une organisation dont les ramifications pointent au-delà de la ville de Bouaké, capitale de la rébellion.
Il sera à toutes les négociations, et finira la même année ministre de la communication, puis Premier ministre dans le gouvernement de réconciliation nationale, mis en place par le président Laurent GBAGBO, dans le cadre des accords de Linas Marcoussis. Il est incontournable dans l’ensemble du dispositif qui conduira aux élections présidentielles de 2010, sur fond de crise. Il manie avec habileté naïveté des autorités de l’époque, et objectifs de prise du pouvoir par ses mandataires. Il le dira lui-même quand une première tentative du pouvoir Ouattara, pour le mettre hors-jeu avait été engagée entre 2015 et 2016 : « Je suis un homme de mission ». Cette phrase qui avait résonné comme une menace, a-t-elle aujourd’hui encore sa pertinence ?
UNE LÉGISLATURE PASSIVE ET SANS POUVOIR
Alors qu’il n’avait pas encore l’âge légal requis pour être président de l’Assemblée nationale de la dernière législature de la seconde république, le président Alassane fera retarder la procédure pour permettre à son protégé de remplir les conditions. Le président Ouattara ne dérogera pas à cette faveur après sa réélection en 2015. Aux élections législatives de 2016 qui ont été couplées avec le référendum qui a modifié la Constitution et consacré la 3e République, SORO est élu député, et président de l’Assemblée nationale sur instruction du président de la République, malgré le contexte de crise ouverte entre lui et le RDR. Il conserve son fauteuil de président, poste auquel était pressenti le ministre Soumahoro Amadou du RDR.
Si l’Assemblée nationale sous la présidence de Soro Guillaume a brillé par son absence sur les grandes réformes de la 3e République, son rôle pour le compte du RDR est resté tout aussi insignifiant. Mieux, l’homme n’a pas cessé d’afficher des actions de défiances à l’égard du président Alassane Ouattara.
En avril 2016, lors des manifestations des étudiants qui revendiquaient la suppression des frais du COGES dans les établissements publics, la police avait effectué une descente punitive dans les cités universitaires d’Abidjan. Brutalisation et incarcération d’étudiants, dont des filles avaient été enregistrées. L’Assemblée nationale n’a pas été entendue sur cette affaire et aucune enquête parlementaire n’avait été diligentée pour comprendre les circonstances de cette affaire.
Ce fut le même mutisme face aux inondations qui endeuillent la ville d’Abidjan chaque année. Le président de l’Assemblée nationale n’a pas engagé sa commission économique et sociale à enquêter sur l’utilisation des fonds dégagés par le gouvernement, pour l’assainissement de la ville. Lors du vote de la loi de finances en décembre 2018 n’eut été l’implication du patronat, l’Assemblée nationale aurait voté une loi de finances qui aurait accentué les difficultés des entreprises, et la cherté de la vie. Sur la question de l’ordonnance prise pour la limitation de l’âge des véhicules importés, l’augmentation des taxes aéroportuaires, l’augmentation des taxes sur les transferts mobiles money, Soro n’a pas vu l’intérêt du peuple qu’il est censé représenter. À quoi donc a-t-il été utile pour que sa démission pose un problème ?
DIVORCE CONSOMMÉ ENTRE SORO GUILLAUME ET OUATTARA
Qui veut l’argent du beurre, le beurre et la crémière finit par tout perdre. Alors que le RACI, mouvement proche de Soro, l’avait investi candidat pour les élections présidentielles de 2020, Guillaume était resté indécis. « Le devoir vous appelle. Il urge que vous posiez dans les meilleurs délais un acte fort et sans équivoque». Avait lancé Soro Kanigui le 18 novembre 2018 lors du 5e conclave du Rassemblement pour la Côte d’Ivoire (RACI) dont il est le président. Mais Guillaume peinait à concéder au pouvoir qu’il narguait depuis plusieurs mois, une démission qui lui a été finalement exigée.
Agacé par l’interview que Soro Guillaume a accordé à un petit site internet, mais qu’il reniera le lendemain sans engager de poursuites judiciaires contre le supposé journaliste inventeur de propos, Ouattara lui-même, lui a finalement forcé la main pour « libérer le tabouret ».
Arrivé au palais de l’Assemblée nationale le vendredi 8 février 2019, Guillaume Soro jouait toute sa crédibilité. Démissionner sous la pression du pouvoir est une entorse faite à une démocratie déjà bien fragilisée, mais constitue un acte qui a le mérite de fixer les positions et clarifier le jeu de Soro qui a profité finalement des avantages de son poste, sans assumer vraiment les tâches qui s’y rattachent. Une démission mise en scène par son service de communication pour dire les raisons, les conditions qui entourent son acte, avant de clairement afficher ses ambitions : « Je libère le tabouret pour aller prendre le fauteuil. Il est plus confortable ».
Il doit finalement tout à Ouattara qui l’a porté à ce haut poste, ensuite imposé aux plus hautes fonctions de l’État de Côte d’ Ivoire. Alors si la loyauté que le président de la République attendait de lui n’a pas été au rendez-vous, la logique voudrait qu’il s’en sépare. Ainsi, au moment où Guillaume Soro rendait sa démission le 8 février dernier de son poste à la tête de l’Assemblée nationale ivoirienne, à l’issue d’une brève session extraordinaire qu’il avait convoquée, la chaîne nationale avait retiré ses équipes, rendant la retransmission en direct de la rencontre impossible. Il fallait banaliser l’évènement. Désormais, la question de l’avenir politique pour l’ancien protégé d’Alassane Ouattara se pose et c’est là que les choses s’annoncent difficiles pour lui.
Oui, parce que Guillaume Soro va devoir afficher un programme de gouvernement pour séduire les ivoiriens qu’il, ou ses amis, attend gouverner. Les Ivoiriens de 2019 ne se contenteront plus de discours en forme de copies-pales de ceux prononcés par le seducteur Laurent Gbagbo, son ancien mentor. Il va à Guillaume Soro de mettre de côté les flatteries ou les expressions amusantes pour proposer des idées fortes capables de révolutionner la vie des ivoiriens. Oui, parce que mine de rien, personne en Côte d’Ivoire ne sait pourquoi Soro Guillaume veut « prendre le fauteuil. » qu’il trouve « plus confortable ».
S’il a pu jouer un rôle d’ Élisabeth II, la reine d’Angleterre, à l’Hémicycle, où nul ne sait quoi retenir de son action, gouverner la Côte d’Ivoire qui est une autre paire de mange ne devrait pas être un objectif facile à atteindre pour lui. Aucun arrangement n’est possible avec le peuple qu’il faudra séduire avec des idées, de vraies idées, qui ne peuvent en aucun cas être celles qu’il a utilisées pour justifier sa meurtrière rébellion, à savoir qu’il a subi un désagréable contrôle routier des forces de l’ordre ivoirien et donc qu’il a été victime de xénophobie.
Nelson ZIMIN