1964 et 2025, deux dates historiques dans une ville-symbole, Bouaké. En 1964, le Président Felix Houphouët Boigny avait organisé la fête de l’indépendance de la Côte d’Ivoire à Bouaké, première des festivités TOURNANTES de l’indépendance ivoirienne. Le 7 août 2025, Bouaké, deuxième ville de la Côte d’Ivoire, a accueilli l’exercice militaire « An 65 », point d’orgue des célébrations du 65ᵉ anniversaire de l’indépendance de la Côte d’Ivoire. Le choix de Bouaké n’est pas dû au hasard. Le président Ouattara s’est réjoui du retour historique des festivités de l’indépendance à Bouaké, 61 ans après la dernière édition organisée dans cette ville, décrétée capitale de la paix. Il a déclaré le 6 août 2025 : « C’est toute la Côte d’Ivoire unie qui revient à Bouaké pour saluer le rôle et la résilience de cette cité emblématique ».
Indépendance de la Côte d’Ivoire ; Un défilé militaire et une fresque artistique
Le grand défilé militaire s’inscrit comme l’un des temps forts des célébrations. Placé sous le thème « Les Forces de l’ordre et de sécurité, gardiennes de la paix et de l’espérance », l’événement « An 65 » visait à illustrer la cohérence entre vision sécuritaire, cohésion nationale, souveraineté et diplomatie équilibrée. La Côte d’Ivoire a ainsi exposé au monde sa doctrine de souveraineté pragmatique : une puissance militaire nationale et des alliances choisies sans exclusive. Des troupes militaires étrangères, – américaines, marocaines et française -, ont défilé aux côtés de leurs frères d’armes ivoiriens à cette cérémonie de l’indépendance de la Côte d’Ivoire, renforçant ainsi les liens de coopération sécuritaire entre la Côte d’Ivoire et ces nations et un rejet de l’illusion selon laquelle l’anti-occidentalisme et la rupture avec l’Occident sont des gages d’indépendance.
Le défilé militaire s’accompagnait d’une fresque artistique destinée à représenter l’extraordinaire diversité et la richesse du patrimoine culturel ivoirien : le Sud, l’Est, le Nord, le Centre 1 (Yamoussoukro), le Centre 2 (Bouaké). , ainsi que des thématiques comme la jeunesse, la modernité, et enfin un char dédié à l’exécution complète de l’hymne national.
« An 65 », manifeste de souveraineté nationale
À travers la mise en scène millimétrée, l’État ivoirien a rendu hommage à ses forces armées, tout en affirmant une souveraineté assumée, fondée sur la sécurité. Le thème de cette édition 2025 de la fête de l’indépendance de la Côte d’Ivoire prend alors tout son sens : les forces de l’ordre ne sont pas seulement une ligne de défense, elles sont les piliers d’un État stable, ouvert, respecté, et installé sur le chemin d’un avenir commun fondé sur un patriotisme qui ne se réduit pas à un nationalisme identitaire belliqueux. Le message s’adresse aussi à tous ceux qui seraient tentés d’imposer, par une passation forcée du pouvoir, un destin que les Ivoiriens n’auraient pas choisi. Alors que les pays de l’AES s’enferment dans de nouvelles dépendances russo-chinoises après leurs ruptures fracassantes avec des partenaires traditionnels et historiques, Abidjan montre que la véritable souveraineté se construit dans l’équilibre des partenariats et le dialogue avec tous les pays.
Une vision géopolitique
La présence simultanée de délégations militaires françaises, américaines et marocaines, aux côtés du président gabonais Brice Clotaire Oligui Nguema, a donné à cet exercice une portée géopolitique majeure. L’année précédente, la Côte d’Ivoire avait accueilli la Chine. Abidjan envoie un message : la souveraineté se construit dans des coopérations choisies sur la base du respect mutuel et des intérêts partagés. N’est-ce pas le même message qu’a tenu devant des jeunes, le président Talon du Bénin , le 28 juillet 2025 ?
À l’opposé d’Abidjan, les régimes militaires du Mali, du Burkina Faso et du Niger ont opté pour une rupture avec leurs partenaires traditionnels. En quittant la CEDEAO, en expulsant les forces françaises et en suspendant leurs relations avec plusieurs chancelleries européennes, ils ont confondu posture et stratégie. Le résultat est une dépendance accrue à l’égard d’acteurs comme la Russie via le groupe Wagner, sans pour autant gagner en efficacité sécuritaire. En même temps, la présumée dépendance monétaire continue avec le maintien dans le CFA, sans jamais oser assumer cette monnaie ni la défendre. Cette bascule, souvent présentée comme une conquête de souveraineté, se révèle être une substitution de tutelle.
Une armée républicaine, disciplinée, formée et équipée
L’armée ivoirienne, quant à elle, avance selon une logique inverse. Professionnelle, disciplinée, équipée grâce à des partenariats transparents et pluriels, elle n’a pas recours à des mercenaires. L’équipement militaire moderne, présenté à Bouaké, reflète un effort budgétaire national et une montée en compétence interne. Cette autonomie graduelle s’inscrit dans un cadre de coopération lucide, loin de toute vassalisation idéologique. Le choix du président gabonais Oligui Nguema de se joindre à l’événement, est un camouflet pour les partisans de la doctrine de rupture totale. Il montre que la Côte d’Ivoire, en assumant une diplomatie d’équilibre, reste un interlocuteur crédible pour toutes les sensibilités politiques africaines. Abidjan ne se ferme aucune porte, même à l’égard de dirigeants issus de coup d’État ou élus après un coup d’État. Cependant, Abidjan n’en ouvre aucune sans discernement.
L’ouverture sur le monde ou le repli identitaire ?
La fracture entre la Côte d’Ivoire et les pays de l’AES ne résulte pas d’un rejet ivoirien. Elle ressortit d’une logique de repli adoptée par Bamako, Ouagadougou et Niamey. Ces trois capitales mettent en péril des liens vitaux pour leur développement et leur sécurité. Ils sacrifient la solidarité régionale sur l’autel d’un souverainisme de façade. En s’enfermant dans une dépendance nouvelle vis-à-vis de Moscou ou Pékin, elles ont simplement changé de maître. L’exercice « An 65 » à Bouaké cristallise deux visions de l’avenir de l’Afrique de l’Ouest. D’un côté, une approche ivoirienne fondée sur le réalisme, l’autonomie, la coopération équilibrée, et l’incarnation du thème national « Les Forces de l’ordre et de sécurité, gardiennes de la paix et de l’espérance ». De l’autre, une idéologie de confrontation qui désarme économiquement, isole diplomatiquement et fragilise militairement. À Bouaké, la Côte d’Ivoire a démontré que la puissance ne réside pas dans les ruptures spectaculaires, mais dans la capacité à s’adapter, à choisir ses alliances et à construire sa souveraineté sur des bases solides et durables. La souveraineté ne réside pas dans les incantations et le retour des modèles de gouvernance qui refusent le verdict des urnes.
Les multiples coups d’État qui se sont déroulés en Afrique Noire depuis les indépendances ont retardé le développement économique et social des jeunes nations africaines. Les coups d’État militaires de ces dernières années doivent conduire à interroger sur la nature du pouvoir et l’instauration d’une bureaucratie étatique qui a tendance à éloigner de la démocratie. En même temps, ces coups d’État militaires conduisent à interroger la notion de « souveraineté », un concept utilisé pour justifier les passations forcées de pouvoir. La véritable souveraineté ne se confond pas avec le souverainisme de façade que proposent les marchands d’illusion.
La rue africaine, lorsqu’elle exprime les impatiences et les attentes des populations et des jeunes générations, est souvent instrumentalisée par des groupes qui s’emparent du pouvoir en diffusant, à travers des stratégies de désinformation, une représentation symbolique de ce qui serait le « vrai peuple », afin de discréditer l’ordre constitutionnel, les institutions démocratiques et une classe politique qui ne représenterait qu’un pouvoir corrompu. Ces arguments sont ceux d’un populisme dangereux qui consiste à dire à la rue ce qu’elle veut entendre.
Il n’y a pas, dans l’événement « An 65 », de populisme, ni de repli identitaire démagogique, c’est au contraire l’expression d’une volonté d’associer toutes les Ivoiriennes et tous les Ivoiriens à la consolidation de la fierté nationale et à la construction d’une véritable souveraineté. Le défilé militaire et la fresque artistique ont participé, le 7 août 2025, à Bouaké, ville symbole, à la construction d’un référentiel patriotique et culturel commun, loin de toute démagogie, dans une souveraineté ouverte, assumée et équilibrée.
Wakili Alafé – Journaliste – DG de l’Intelligence d’Abidjan.