Cadre de la région du Guemon, Eugène Fié a évoqué la récente sortie de la ministre Ane Oulotto à propos de « l’affaire du génocide Wê ». Dans ses propos tirés d’une interview réalisée via les réseaux sociaux, le premier président de l’association Perspectives Nouvelles pour Duékoué (PND) n’a pas chaussé de gants quand il ‘est agi d’assener ses vérités à cette cadre du Rassemblement des républicains. Non sans inviter l’ensemble de la classe politique Ivoirienne à éviter de politiser ces évènements douloureux, de peur réveiller les vieux démons.
Ci-dessous l’intégralité de l’interview de M. Eugène Fié
Bonjour M. Eugène Fié. À en croire certaines informations, la communauté Wè en Europe vit difficilement l’actualité en Côte d’Ivoire concernant surtout les violences commises dans votre région durant les crises ?
Eugène Fié : Oui, toute la communauté Wè et une majorité des Ivoiriens à l’étranger.
Cette situation serait due aux récentes déclarations de Mme Simone Gbagbo lors de la célébration de la fête de la liberté du FPI à Duekoué. Si vous avez suivi son discours, comment le qualifiez vous?
Eugène Fié : La fête de la liberté du FPI à Duékoué a été sur la forme, je l’avoue, un succès. Mobiliser plus de 2,5 millions de personnes, c’est du jamais vu. Cela prouve que les Wè sont prêts pour la réconciliation vraie avec tous les Ivoiriens victimes de la crise post électorale. Mais dans le fond, il y a eu des ratés. Ce sont les wè qui devaient être à l’honneur et mis aux devants des choses. Les autres ne devraient être que de simples invités.
On devrait faire entendre des sonorités wè telles celles de la défunte Bléhon Jeanne, célèbre artiste wè, qui avait chanté l’horreur de la guerre, avec ses atrocités à la limite de la bêtise humaine, où elle interpellait l’ex-président de Gbagbo Laurent, son épouse Simone Gbagbo, les généraux de l’armée dont Mathias Doué et Bombet, de tout faire pour arrêter cette guerre.
Alors qu’ils sont à Duékoué pour parler de paix, ils chantent ‘’allons à Gagnoa’’. Non, ce n’est pas la même histoire. il ne faut pas souffler sur les braises et réveiller les vieux démons. C’est mettre à mal la cohésion sociale et la paix fragile dans une région très sensible, qui n’a pas fait son deuil.
Et qu’en dites vous de la réaction de la ministre Anne qui reconnaît qu’il y a eu une tuerie massive des Wè, mais pas un génocide ?
Eugène Fié : A sa place, j’aurais convoqué les chefs coutumiers, les élu(es), les cadres des régions du Guémon et du Cavally avant de répondre au FPI et à Simone Gbagbo. Je me demande si elle a des conseillers. C’est une sortie de route très grave de la ministre Ouloto, on ne fait pas la politique dans l’émotion. Elle a manqué de pédagogie et de courage politique.
Elle doit admettre qu’il y a eu bel et bien un génocide reconnu par la communauté internationale et toutes les ONGs sur le terrain. L’humilité demande qu’elle parte à Duékoué pour retirer ses propos et présenter ses excuses, sinon ce n’est pas digne d’être wè, fille de la région. Cette négation va lui coûter cher politiquement et difficile à réparer.
Êtes-vous d’avis avec elle qu’il ne faut pas politiser le débat ?
E.F : J’ai eu tort d’avoir eu raison très tôt. Je suis la personne qui, à l’époque où j’étais vice-président de L’ARDEFE, a refusé d’aller s’afficher sur France 24 avec les acteurs de la crise post électoral politiquement marqués tel qu’Alain Toussaint. Je m’étais aussi opposé à une sollicitation de Me Jacques Vergès (avocat du président Gbagbo) pour conduire le dossier des victimes Wè. La présidente Kehi Vaho Martine ne m’a pas écouté.
Qu’en est-il aujourd’hui ? N’est-ce pas ces avocats qui veulent la dessaisir du dossier, ce qui l’amène à recourir à Laurent Gbagbo ? Il faut éviter l’instrumentation et la politisation de la peine des victimes du génocide wè. Il faut éviter d’en faire une propagande inutile. Tôt ou tard, les coupables seront traduits en justice et paieront, car leurs crimes ne sauraient rester pas impunis.
Sur la toile, des internautes s’étonnent que la ministre Anne Ouloto s’insurge contre une politisation du drame des Wè, alors que le pouvoir auquel elle appartient a longtemps commémoré la mort des 7 femmes d’Abobo ?
E.F : Je suis contre la politisation du génocide wè. La ministre Ouloto se comporte comme étant en mission commandée et fait du deux poids deux mesures. Même si on t’envoie, il faut savoir t’envoyer, disait le président Gbagbo. Elle doit savoir qu’Il y a une vie après la politique et que la roue tourne. Là, elle joue un mauvais rôle et un jour, tout peut basculer. Alors, qu’elle fasse très attention car rien n’est éternel !
Ces internautes estiment que Anne Ouloto gagnerait à demander la poursuite des coupables de ce qu’elle appelle « tueries massives », plutôt qu’à jouer sur les mots. Qu’en pensez-vous?
E.F : Je suis donc d’avis avec ces internautes. Comment comprendre que les 7 femmes d’Abobo ont droit, elles, à une commémoration organisée par l’Etat de Côte d’Ivoire, tandis que ceux qui ont été tués dans ce qu’elle appelle tuerie de masse ou crimes de masse à Duékoué, n’en ont pas droit ? En se comportant de cette façon, je m’interroge sur sa réelle motivation. Toute chose qui me fait regretter feu le ministre Dagobert Banzio.
Peut-on dire que cette polémique et le malaise sont dus au manque de réconciliation effective en Côte d’Ivoire ?
E.F : Je l’affirme. C’est parce que la réconciliation a échoué par la faute des mêmes acteurs à l’origine de cette crise post-électorale, qui sont juges et partie, surtout le RHDP. C’est le combat que je mène depuis 2011.
Où en est le Pnd dont vous avez été le premier président dans son combat pour la réconciliation dans le Guemon et en Côte d’Ivoire ?
E.F : Le PND existe toujours. Nous avons la conviction de notre engagement et nous irons jusqu’au bout. On ne se découragera jamais, surtout pour aider notre région du Guémon à retrouver la paix, la réconciliation et le bon vivre ensemble, comme par le passé. Ce n’est pas facile, nous savons que ça ne se fera pas par un coup de baguette magique, mais avec la mobilisation de tous et l’aide du Dieu, nous y parviendrons.
Je voudrais signifier que le PND à été décoré par la grande chancelière Henriette Dagri Diabaté, à Paris. Il a été fait chevalier de l’ordre national au titre du mérite des associations de la Diaspora en France.
Nous avons reçu cette distinction pour notre apport à la réconciliation à travers la plateforme indicative de sortie de crise que nous avons élaborée, et que j’ai remise moi-même au président de la République Alassane Ouattara, lors de sa première visite officielle en France. À sa demande, après une séance de travail avec l’ancien patron du FMI, Michel Camdessus, ce dernier a proposé que cette plateforme soit étendue à toute la Côte d’Ivoire.
Nous avons connu quelques turbulences en notre sein et le décès de notre président Mahou Raoul, qui ont un peu tiédi notre ardeur, mais bientôt nous élirons un nouveau bureau pour continuer le combat. L’Etat de Côte d’Ivoire, après nous avoir honoré avec cette médaille, doit impérativement nous associer au processus de réconciliation et de cohésion sociale. Nous sommes mieux placés, pour rejoindre les propos du ministre Sidiki Konaté, pour faire la réconciliation dans notre région. Le PND doit être entre l’Etat de Côte d’Ivoire et nos parents du Guémon pour une sortie de crise vraie.
A l’approche de la présidentielle de 2020, craignez-vous comme certains Ivoiriens un regain de violence en Côte d’Ivoire ?
E.F : Le ciel politique devient de plus en plus nuageux. La tension est palpable. Les amis d’hier s’entre-déchirent, des provocations pleuvent de part et d’autre, des affrontements intercommunautaires par-ci et par là à cause de l’échec de la réconciliation, la mauvaise gouvernance, l’injustice sociale. À cela s’ajoute les paroles guerrières de certains membres du pouvoir (tout est bouclé, genre on gagne ou on gagne, tu libères le tabouret, etc ).
Ce que je vois en ce moment n’est pas une accalmie, c’est un semblant de paix. Le pouvoir en place a le devoir, par le dialogue, de tout faire pour éviter une autre crise. Je crains que la survenue d’une crise soit plus violente, sauvage et plus meurtrière que celle de 2011. Et je doute fort que la communauté internationale soit disposée à intervenir.
Que préconisez-vous devant toutes ces situations ?
E.F : J’affirme que toute cette classe politique a échoué, il faut la renouveler et repartir sur des bases solides et saines avec des personnes qui ne sont pas marquées politiquement. Il faut organiser des élections transparentes et saines par une transition pacifique avec la société civile. La Côte d’Ivoire regorge des valeurs qui, par manque de sécurité, la peur de perdre leur emploi et même leur vie, n’osent pas se faire connaître. Vous verrez que si les conditions précitées sont réunies pour garantir la sécurité de tous, la Côte d’Ivoire ne mettra pas assez de temps pour se retrouver dans le gothas des pays émergents.