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L’ambiance électorale en Côte d’Ivoire est, une fois encore, dominée par des tensions politiques et la crainte d’une nouvelle crise. Au pouvoir depuis 2011, le président Alassane Ouattara porte une responsabilité centrale dans ce climat incertain – Analyse de Patrice Dama.
« Le vrai gardien du village est celui qui éloigne les flammes, pas celui qui les allume », rappelle un proverbe africain. Lorsqu’il est arrivé au pouvoir, près de 3 000 vies venaient de s’éteindre dans la crise post-électorale de 2010-2011. Si Laurent Gbagbo avait reconnu avoir pris le pouvoir en 2000 dans des « conditions calamiteuses », Alassane Ouattara, lui, est entré au palais présidentiel dans un contexte tragique avec les 3 000 morts.
Le pays paraissait alors si affaibli qu’on croyait qu’il faudrait des décennies pour le remettre debout. Pourtant, l’ancien haut fonctionnaire du FMI avait réussi une petite prouesse : ramener une certaine sécurité et engager la Côte d’Ivoire sur le chemin du développement. Routes, ponts et infrastructures jalonnent son bilan. Mais comme dit l’adage, « on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs » : derrière les avancées visibles, des fissures politiques n’ont cessé de s’élargir.
Le troisième mandat : une fracture
Après deux mandats, on s’attendait à voir Ouattara organiser une alternance apaisée. D’autant qu’il avait promis en 2016, lors de la nouvelle Constitution, qu’il ne briguerait pas de troisième mandat. Beaucoup d’Ivoiriens avaient voté sur la foi de cette promesse.

L’affiche de la campagne du référendum du 30 octobre 2016.
Contre toute attente, le décès d’Amadou Gon Coulibaly fut présenté comme le motif d’un revirement. Le chef de l’État annonça finalement sa candidature, au grand désarroi d’une partie de ses militants et de ses proches collaborateurs, dont le regretté Hamed Bakayoko. Malgré l’opposition farouche, il fut réélu en 2020.
Vers un quatrième mandat ?
Au lieu de tourner la page, le débat sur une nouvelle candidature gênante d’Alassane Ouattara refait surface. Officiellement, il s’agirait de poursuivre le développement et former un successeur. Mais aux yeux de nombreux observateurs, c’est surtout un nouveau reniement.
Dans son propre camp, rares sont ceux qui osent le contester. Dans ce parti, il y a des choses qu’on ne dit pas publiquement, reconnaissait le ministre Kobenan Kouassi Adjoumani. Résultat : les ambitions présidentielles des uns et des autres se murmurent à huis clos, mais ne franchissent jamais la porte des chambres. Il faudrait pourtant un peu de courage parce qu’on ne peut qu’être vrai avec les gens qu’on dit aimer, même contre le confort de leurs pensées.
Une opposition sous verrou
Les dernières décisions du Conseil constitutionnel sont plus l’entérinement de stratégies d’exclusion que la lecture du droit censé pacifier un pays. L’opposant Tidjane Thiam n’a pu être réinscrit sur la liste électorale. Laurent Gbagbo, frappé par une condamnation controversée de 20 ans pour « braquage » de la BCEAO, reste écarté. Quant à Assalé Tiémoko et Vincent Toh Bi, ils ont été recalés faute de parrainages suffisants, ce qu’ils contestent tous.
Dans ce contexte, il est difficile de parler de compétition équitable. Et plus troublant encore : les forces de l’ordre multiplient les démonstrations dans le pays, comme pour préparer le terrain à une élection sous haute tension.
Le peuple lassé des crises cycliques
Les sondages récents montrent pourtant qu’une bonne partie des militants du RHDP, parti du Président, souhaitent une élection inclusive, ouverte à tous les leaders. Mais au lieu d’écouter ce message, le pouvoir choisit de s’appuyer sur l’appareil sécuritaire. Une stratégie risquée, qui laisse craindre un nouvel affrontement.
La Côte d’Ivoire est-elle condamnée à revivre tous les cinq ans les mêmes convulsions électorales ?
Ce qu’Alassane Ouattara aurait pu laisser
L’histoire retiendra peut-être moins les infrastructures que la manière dont Ouattara quittera le pouvoir. « Même une porte mal ouverte peut se fermer avec élégance », dit un autre proverbe. Il aurait pu être ce sage à qui ses successeurs – du RHDP comme de l’opposition – viennent demander conseil. Un homme qui rassure le peuple par sa parole comme on attend l’opinion d’un sage sur des sujets importants.
Au lieu de cela, le Président Ouattara s’entête à rester au centre du jeu, en négligeant toutes les limites. Or, les Ivoiriens attendaient un geste fort : une sortie honorable, qui ouvre la voie à la réconciliation nationale.
La véritable réconciliation ne peut se décréter dans les discours ; elle se démontre dans les actes politiques. En agissement contrairement aux attentes, le Président Ouattara prive les ivoiriens de la tranquillité d’esprit et perpétue la crise des 5 ans. Sa responsabilité sera, hélas, aussi engagée que celle de possibles fauteurs de troubles si les choses tournent mal.