Romuald Wadagni : pourquoi sa désignation peut-elle sécuriser une trajectoire de transformation au Bénin ?

À l’annonce de la désignation de Romuald Wadagni comme candidat de la mouvance pour la prochaine présidentielle au Bénin, un collègue m’a demandé ce que j’en pensais. Ma première réaction a été : sur quel aspect exactement ? Le sujet est vaste : continuité des réformes, capacité de l’État à exécuter, alternance, culture de la décision publique.

Romuald Wadagni : un choix stratégique pour consolider la transformation du Bénin ?

La veille de cette annonce, je marchais avec un ami sur le boulevard de la Marina, en plein travaux. Nous comparions l’état actuel à celui d’il y a quelques années. La conclusion s’imposait : il y a une dynamique. D’où la question : faut-il assurer la continuité de cette dynamique — celle qui consiste à mobiliser des ressources pour des projets structurants, les exécuter avec rigueur, prendre des risques mesurés pour relever le niveau d’ambition collective ?

J’y ajoute une conviction personnelle : faire de l’expérimentation rapide un levier de gestion, et surtout savoir répliquer vite ce qui fonctionne. On l’observe avec la zone industrielle de Glo-Djigbé (GDIZ), et, selon les annonces, avec une nouvelle zone vers Kétou, qui permettrait au Bénin de monétiser sa proximité avec le Nigeria par l’industrialisation et la logistique.

Mais au-delà des chantiers, il existe une réalité dure, souvent évoquée dans les débats sur la démocratie en Afrique : qui peut réellement prolonger les acquis de performance du moment ? À chaque fin de mandat, les citoyens ressentent une forme de stress, lié à la faiblesse des institutions et au manque de grandes stratégies capables de résister au changement d’hommes.

Le Bénin, au prix d’un dur labeur et de difficultés réelles, a soutenu depuis près de neuf ans des plans ambitieux. En langage simple : il y a une ligne tracée que la gouvernance suit. Je me rappelle le lancement du programme “Bénin Révélé”. Feu mon père m’avait dit : « Chabi, si l’on arrive à faire tout cela, le Bénin changera radicalement. » Ma réponse fut analytique : ce plan ne vaut pas que pour 5 ou 10 ans ; il peut servir pendant des décennies. J’aurais aimé qu’il soit encore en vie pour un exercice citoyen de suivi-évaluation.

Huit ans plus tard, cette intuition est renforcée par mon expérience en intelligence collective : observer une nation par le prisme des évolutions culturelles et de la transformation des problèmes publics. Ce type de dynamique exige du temps, de la patience, et de grands plans. Changer une nation, ce sont des décennies de dur labeur.

C’est bien ce qui se joue aujourd’hui : un pays avec un plan de transformation, prêt à prendre des décisions difficiles pour garantir à une population croissante les conditions d’une vie meilleure. Quiconque a déjà construit une maison avec de petites économies sait ce que cela implique : négocier avec les ouvriers, obtenir certains matériaux à crédit, planifier les paiements. L’entrepreneur connaît aussi ce chemin : convaincre ses proches, sa banque, travailler sa façon de communiquer, participer à des salons, séduire des partenaires. Bâtir une nation suit la même logique.

Mobiliser 400 milliards de FCFA pour un projet, c’est des mois, parfois des années d’allers-retours coordonnés. Plus vous décrochez un financement, plus vous apprenez à structurer, à accélérer, parfois même à anticiper. C’est une aptitude que le Bénin a désormais. On peut risquer une analogie : le Bénin d’aujourd’hui rappelle le Maroc du milieu des années 2000. Ceux qui ont observé ce voisin savent qu’un travail sérieux sur deux ou trois décennies transforme une économie et la place sur des projets de grande envergure.

Autre leçon : les équipes qui travaillent longtemps ensemble ne sont pas toujours d’accord sur tout. En intelligence collective, la divergence d’opinion est utile : elle challenge les idées et améliore les stratégies. En observant une équipe gouvernementale dont le noyau a peu changé, je veux souligner ceci : le gouvernement béninois a atteint un niveau de collaboration efficace, où collaborer n’est pas un confort mais une nécessité — voire un devoir — autour d’un objectif commun.

C’est aussi un message pour l’alternance. Elle est souvent compliquée en Afrique ; au Bénin, lorsqu’un consensus se dégage, elle devient possible et ordonnée. Même si le candidat désigné est proche du président sortant — en l’occurrence son ministre des Finances —, il peut apporter un style de gouvernance différent, une énergie qui lui est propre, sans dévier du cap et de la vision de long terme.

Mieux : la transition pourrait être rapide s’il l’emporte, car les équipes changent moins, les dossiers se transmettent plus vite, et les projets ne subissent pas de rupture. La personne sur laquelle le consensus s’est formé a probablement été au cœur de nombreux dossiers, avec une vue d’ensemble, parfois “depuis le balcon” grâce aux chiffres. Cette prise de hauteur aide à mieux guider, à identifier les points d’amélioration.

Diriger s’apprend en dirigeant. Passer près de neuf ans à la tête d’un des ministères les plus stratégiques constitue une expérience précieuse : on expérimente, on fait évoluer. Dans ce contexte, le choix porté sur Wadagni a probablement été difficile pour la mouvance et ses leaders. Mais, comme pour toute décision importante, il dépasse les affinités : il est stratégique, pensé pour faire avancer le collectif.

Reste une exigence : hériter et clarifier l’héritage. Pour rallier les citoyens à une dynamique, il faut travailler les ratés, expliquer la vision, justifier la nécessité et donner des horizons où les fruits des sacrifices se feront sentir. C’est ce qui rend l’élection à venir intéressante : un jeu démocratique de valeurs et un débat de programmes, autant du côté de la mouvance que de l’opposition — au-delà des personnes.

Kafid TOKO, Facilitateur en intelligence collective

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