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Ingénieur et entrepreneur, Sidy Kebe est titulaire d’un MSc en Global Entrepreneurship & Innovation et d’un Master en Management. Passionné de littérature africaine, de politique et de panafricanisme, il propose une analyse approfondie qui retrace l’histoire de la prédation en RDC, de l’État indépendant de Léopold II à l’exploitation du cobalt. Si le Rwanda et le M23 sont souvent désignés comme responsables de l’instabilité, ils ne sont que les symptômes visibles d’un système bien plus vaste, où élites corrompues, multinationales et financiers internationaux orchestrent le pillage des ressources au détriment du peuple congolais.
Le Congo n’est pas un mystère indéchiffrable. Ce qu’il vit n’est pas le fruit d’un chaos inné, mais l’aboutissement d’une histoire politique, économique et humaine où la prédation se transmet comme un héritage. Les récits dominants parlent de guerres tribales, de violences irrationnelles et d’une nation ingouvernable. Ils désignent des boucs émissaires commodes – le Rwanda, les rebelles du M23 – et occultent la structure d’exploitation qui soutient cette tragédie. Cette analyse personnelle est un plaidoyer : refuser l’ignorance, faire le lien entre le passé colonial et la souffrance d’aujourd’hui, et nommer les acteurs invisibles qui tirent les ficelles. Elle ne prétend pas à la neutralité ; elle réclame l’exigence de la vérité.
Le poids de l’histoire : naissance d’un modèle prédateur
L’« État indépendant du Congo » ne mérite son nom qu’en façade. Inventé à Berlin en 1885, il est confié à Léopold II comme on confie une forêt à un scieur. Sur les cartes, l’immense territoire est délimité au crayon ; sur place, il est piétiné. Les soldats de la Force publique viennent collecter le caoutchouc avec des fusils et des sabres, tuant ceux qui n’en récoltent pas assez. Des villages entiers sont rayés de la carte. Les mains coupées, devenues un système comptable, attestent d’une balle épargnée. On estime qu’entre dix et quinze millions de Congolais périssent durant cette exploitation, soit la moitié de la population de l’époque.
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Cette violence n’est pas un accident : elle est le cœur d’un modèle économique. Chaque goutte de latex vaut un doigt, chaque kilo d’ivoire vaut des larmes. L’Europe ne veut pas voir les cadavres ; elle voit des pneus qui font rouler ses bicyclettes et des balles de caoutchouc qui gonflent ses profits. Elle voit l’ivoire poli, symbole de luxe, et ferme les yeux sur les mains ensanglantées. Quand, en 1908, l’indignation oblige Léopold II à céder son « État » à la Belgique, la propriété privée devient colonie d’État, mais la finalité reste identique : extraire, toujours plus, au détriment du peuple.
1960 : l’indépendance assassinée
Après la Seconde Guerre mondiale, l’Afrique se relève et exige sa liberté. Au Congo, Patrice Lumumba incarne cette aspiration. Son discours du 30 juin 1960, devant le roi Baudouin, est un acte d’orgueil et de dignité. Il condamne l’humiliation coloniale, revendique la maîtrise des richesses, appelle les Congolais à prendre en main leur destin. Ses mots heurtent ceux qui, dans les métropoles et les conseils d’administration, voient le Congo comme un entrepôt.
La réponse est brutale. Quelques mois plus tard, Lumumba est écarté, séquestré, puis assassiné. Ses restes sont dissous dans l’acide, comme pour effacer la mémoire de son rêve. La sécession du Katanga, orchestrée par des intérêts miniers, parachève ce sabotage. Les services belges et américains imposent un autre leader : Joseph-Désiré Mobutu, un jeune colonel déjà loyal envers eux. La « guerre froide » se joue aussi dans les mines de cuivre ; toute alternative à l’exploitation est écrasée.
Mobutu : la consécration du néocolonialisme
Sous Mobutu, la RDC devient un théâtre d’ombres et de lumières. Derrière les parades militaires et les slogans d’« authenticité », on trouve des comptes en Suisse et des villas à Marbella. On rebaptise le pays Zaïre, on distribue des médailles, et pendant ce temps, les licences minières sont offertes aux proches ou à des multinationales. Les « Zaïrianisations » sont une farce : elles substituent des patrons locaux affiliés à Mobutu aux propriétaires étrangers. Le président, ses généraux et ses ministres se partagent les rentes. Les clans prospèrent, tandis que les hôpitaux se vident, les écoles se délabrent et les routes disparaissent sous la boue. Le peuple survit à peine pendant que la capitale scintille.
Les parrains occidentaux ferment les yeux. Mobutu garantit la stabilité. Il permet à la Belgique, à la France, aux États-Unis et à Israël de continuer à exploiter cuivre, cobalt et diamants. En échange, il reçoit protection diplomatique et militaire. Les murmures dissidents sont étouffés. Le pillage est institutionnalisé ; la culture de prédation se transmettra à d’autres présidents et à leurs entourages.