A l’approche de la présidentielle en Côte d’Ivoire, de fortes tensions entre l’opposition et le parti au pouvoir ont vu le jour. Les ivoiriens redoutent de nouveau des troubles similaires à ceux connus par le pays en 2010. Pierre-André TOURÉ, un citoyen ivoirien de la diaspora, évoque les éléments du puzzle chaotique qui est en train de se mettre en place.
Présidentielle en Côte d’Ivoire, Pierre-André TOURÉ tire la sonnette d’alarme
Aux éditions Flammarion, est paru en 1978 L’Empire éclaté, un ouvrage signé par Hélène Carrère d’Encausse. Dans cet ouvrage, l’historienne prédit la fin proche de l’URSS dite Union ou Empire soviétique. Ce titre prémonitoire quant à l’avenir de l’Empire soviétique résultait de l’analyse des conditions structurelles. Lesquelles conditions donnaient à voir un Empire dont la politique intérieure, extérieure et les réformes en cours laissaient présager d’un tel lendemain.
Effectivement, en 1989 l’Empire soviétique a éclaté avec l’indépendance des États qui constituaient cette union. A la lumière de cet exemple historique, nous faisons le parallèle avec la situation politique ivoirienne, et les réalités impliquées. Ainsi, le parallèle nous autorise à parler d’une élection présidentielle piégée en Côte d’Ivoire. Comment prétendre qu’une élection présidentielle destinée à conforter la construction démocratique peut-elle être piégée?
Ils sont nombreux, les éléments matériels impliqués dans le processus électoral ivoirien qui contribuent à parler d’une présidentielle piégée. Il est successivement question d’institutions en charge de la présidentielle qui sont sous contrôle, de l’opération du renouvellement des cartes nationales d’identité, des cartes électorales et du fichier électoral piégés, du climat politique non rassurant.
Présidentielle en Côte d’Ivoire, les Institutions sous contrôle.
L’élection présidentielle en Côte d’Ivoire est organisée par la Commission Électorale Indépendante qui, après avoir compilé les résultats des différents centres de votes suivants les régions, proclame les résultats provisoires. Ces résultats sont ensuite transmis au Conseil constitutionnel en charge des résultats définitifs. Le schéma de la proclamation du vainqueur de l’élection présidentielle ivoirienne est ainsi connu. Mais là ou réside le problème concerne les personnalités qui animent ces deux Institutions, à savoir la Commission Électorale Indépendante (CEI) et le Conseil constitutionnel (CC).
A la tête de la CEI, a été élu le 30 septembre 2019, Monsieur Coulibaly Kuibiert, magistrat hors hiérarchie, ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel depuis 2015. Si la qualité du nouveau président ne pose pas problème, son élection à la tête de la CEI et son ancienne fonction (SG du CC) en posent davantage.
En effet, son élection à la tête de la CEI a été contestée par les partis politiques significatifs de l’opposition ivoirienne dont le PDCI RDA et le FPI. Ces partis politiques ont relevé ses accointances avec le parti au pouvoir, dénoncé son ancienne fonction au Conseil constitutionnel et contesté la démarche ayant abouti à son élection à la tête de la CEI.
Contre l’avis de cette opposition et de la société civile, Monsieur Coulibaly Kuibiert a été maintenu président de la CEI. Et cela en dépit également des recours en annulation de son élection formulés par le PDCI RDA, d’abord devant le Conseil constitutionnel puis devant la Cour africaine des droits des peuples. Comme on le constate, la CEI est dirigée par un président qui n’inspire pas confiance aux partis de l’opposition et dont les CEI locales, collectant les résultats pour les faire parvenir à la CEI centrale, sont contestées par l’opposition.
Même s’il ne revient pas à la CEI de voter à la place des électeurs, il faut mentionner que c’est la CEI qui comptabilise les bulletins de vote. Et cet aspect est assez significatif dans le vote. Il l’est d’autant plus qu’il appartient en fin de compte à cet organe de transmettre les résultats totaux au Conseil constitutionnel. Cette institution, bien qu’animée par des hommes de droit, n’inspire pas non plus confiance aux électeurs si nous considérons la jurisprudence de 2015 pour la présidentielle d’octobre 2015.
En effet, sur la base de la Constitution de août 2000, le président sortant, monsieur Alassane Ouattara, candidat exceptionnel en 2010, n’était pas éligible. Mais le président du Conseil constitutionnel, Monsieur Mamadou Koné, magistrat hors hiérarchie, ancien ministre de la Justice, ancien conseiller des rebelles, au lieu d’interpréter la Constitution de août 2000, lui et ses conseillers ont revêtu la toge d’avocats et se sont lancés dans une plaidoirie au bout de laquelle, ils sont revenus avec une candidature autorisée par dérivation.
Un bel exploit certes, mais qui jette un discrédit sur une institution importante de la République. Ces éléments nous autorisent à qualifier ces deux institutions importantes dans l’organisation et la proclamation des résultats de la présidentielle, d’institutions sous contrôle. Cette mise sous contrôle semble donner du sens à la vulgate du C’est bouclé ou C’est géré dont raffolent les partisans du RDR devenu RHDP, à la suite d’un kidnapping-enrôlement de certains leaders politiques.
Mais si on est parvenu à boucler et à gérer les deux institutions en charge de l’élection présidentielle, pourquoi a-t-on piégé l’opération du renouvellement des Cartes nationales d’identité, des cartes électorales et du fichier électoral?
L’opération du renouvellement des Cartes nationales d’identité, des cartes électorales et du fichier électoral piégé.
Dans ces trois opérations ( renouvellement des cartes nationales d’identité, les cartes électorales et la mise à jour du fichier électoral), il ne faudrait pas y voir un piège visible, mais plutôt un piège implicite. En effet, les pièces nationales d’identité, nouveau format, ont été faites en 2009 dans la perspective de la présidentielle de 2010. Et la plupart des cartes confectionnées en 2009, d’une validité de 10 ans, arrivaient à expiration entre juin et juillet 2019.
En pareilles circonstances, tout État non guidé par des calculs à visées électorales, anticipe sur le problème qui va toucher l’ensemble des Citoyens. Mais on a fait traîner la situation jusqu’à expiration des cartes d’identité pour trouver une solution d’urgence par la prise d’un décret de prolongation des pièces existantes jusqu’en juin 2020; une sorte de transition en attendant pour un problème qui était visible.
Le problème qui se pose aujourd’hui porte sur la capacité du Gouvernement à confectionner, dans un temps qui se réduit davantage si nous considérons la date de la présidentielle à venir (octobre 2020), les pièces d’identité pour l’ensemble des citoyens ivoiriens, et ainsi leur permettre de prendre part au vote suivant leur qualité d’électeur. La carte électorale découlant de la pièce d’identité risque d’être impactée par ce retard dans la confection de cette dernière, tout comme la mise à jour du fichier électoral.
Au regard de la volonté affichée par le régime actuel de conserver le pouvoir, volonté du reste légitime, mais contredite par la démarche vers l’objectif ( la conservation du pouvoir), il est fort à parier que la confection des cartes d’identité connaisse des couacs et leur délivrance fasse l’objet de rétention avec en toile de fonds d’empêcher certains électeurs d’exercer leur droit de vote.
Puisque sans carte d’identité, pas d’accès aux bureaux de vote donc des voix en moins. Ceci est d’autant plus avéré que des cartes ont été confectionnées dans le passé, mais non livrées à leurs titulaires. Et l’excuse facile qui a été trouvée a consisté à dire que les requérants ne sont pas venus chercher leurs pièces alors l’organisme en charge dispose de toutes les informations du requérant.
Comme on le voit, la question relative aux documents donnant accès aux bureaux de vote risque d’être réglée selon les statistiques électorales en termes régions favorables ou pas. Quitte à terminer l’élection présidentielle et ouvrir grandement le circuit de distribution et de la remise des cartes d’identité à leurs titulaires. Mais l’élection présidentielle serait déjà terminée et le président élu dans ces conditions ayant déjà prêté serment devant ses hommes liges du Conseil constitutionnel.
Ainsi se présente une question cruciale envers laquelle l’opposition (PDCI-RDA, le FPI et le GPS) semble inaudible alors qu’elle piège l’issue de la présidentielle à venir. Et cette issue est également compromise par le le climat politique actuel qui ne donne aucune garantie sur une élection inclusive et transparente.
Le climat politique actuel compromet une élection inclusive et transparente
De l’avis du Reggae man ivoirien Alpha Blondy, toute personne qui parvient à comprendre la politique ivoirienne a reçu une mauvaise explication, mais toute personne qui ne parvient pas à comprendre la politique ivoirienne a reçu une bonne explication. Un vrai condensé de déclaration paradoxale sur la politique ivoirienne et ses crises qui l’accompagnent, mais un condensé paradoxal qui a tout son sens.
Puisque le climat politique actuel renforce ce sentiment de paradoxes. D’un côté un régime qui affirme être le meilleur ( réalisations d’infrastructures largement visibles uniquement à Abidjan, taux de croissance au-dessus de la moyenne des pays développés, libertés de tout genre, retour des exilés, une justice parfaite lorsqu’elle ne poursuit uniquement que les opposants, une sécurité identique à celle de Genève, etc…) de tous les pouvoirs que la Côte d’Ivoire ait connus jusqu’à ce jour, et de l’autre une opposition pourchassée dans les labyrinthes avec pour objectif de l’anéantir.
Et ce ne sont pas les derniers événements concernant Guillaume SORO (poursuivi en Justice), Charles Blé Goudé ( condamné par contumace à 20 ans de prison, à l’issue d’un procès en une journée) et Laurent GBAGBO interdit d’entrée en Côte d’Ivoire qui diront le contraire.
Dans le même temps, les Hommes du Pouvoir ivoirien affûtent tranquillement leurs stratégies en vue de la conservation du Pouvoir d’État à l’issue de la présidentielle-confirmation en cours de préparation. C’est pour tous ces éléments matériels que la Présidentielle d’octobre 2020 est qualifiée d’affaire bouclée et gérée pour être validée in fine. Un remake du Atakokéleh ( prendre une fois au 1er Tour) de octobre 2015.
Signé Pierre-André TOURÉ
Citoyen ivoirien.