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Au cours des derniers mois, la Guinée a entrepris une vague sans précédent de révocations de permis miniers. Présentée comme une opération de « nettoyage » du secteur, cette campagne d’ampleur soulève une question plus profonde : l’État de droit existe-t-il encore dans un pays où même la Cour suprême sert de simple chambre d’enregistrement aux décisions de l’exécutif ?
Le 16 octobre 2025, la Chambre administrative de la Cour suprême, présidée par Hawa Daraud Kourouma, a rejeté la plainte d’Axis Minerals contre la Banque centrale (BCRG), qui avait gelé les comptes de l’entreprise. Ce gel faisait suite à un décret présidentiel pris en mai 2025 révoquant plus de cinquante permis miniers sans préavis ni justification, dont celui d’Axis. Présente à Boffa depuis 2013, la société dit n’avoir reçu ni notification formelle, ni accusation de manquement, ni convocation à une audience. Pourtant, sa concession a été retirée, ses opérations suspendues, ses comptes bloqués et des milliers de travailleurs guinéens se sont retrouvés au chômage.
Axis Minerals : un investisseur étranger maltraité au mépris du droit
Dans sa décision, la Cour a invoqué deux principes lourds de sens : d’une part, qu’un simple décret présidentiel peut unilatéralement modifier le statut juridique d’une entreprise ; d’autre part, que le retour d’une concession à l’État ne constitue pas en soi un préjudice. Autrement dit, même sans procédure régulière ni fondement légal, un investisseur n’a aucun droit de contester une expropriation.
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L’affaire Axis ne s’est pas arrêtée là. Après le retrait du permis, le ministère des Mines a discrètement signé un memorandum of understanding avec la société chinoise SD Mining, lui attribuant la concession révoquée en échange d’un versement initial de 250 millions de dollars. L’accord, passé en dehors de toute procédure légale, n’a été annulé qu’après le dépôt d’une plainte d’Axis en arbitrage à New York. Cette séquence a révélé le caractère informel, opaque et profondément politisé de la gestion actuelle des actifs miniers en Guinée.
Un durcissement des restrictions politiques
Cette même logique s’est étendue au champ politique. Le 4 septembre, la même Hawa Daraud Kourouma présidait l’audience de la Cour suprême qui a rejeté le recours du parti d’opposition UFDG contre l’interdiction gouvernementale de son congrès national. Là encore, la Cour a donné raison à l’administration sans examiner sérieusement la légalité de la mesure.
Ce jugement n’est pas isolé : il illustre le rôle institutionnel désormais assumé par la Cour suprême dans le renforcement du pouvoir. Loin d’être un garde-fou constitutionnel, elle est devenue un pilier central du recul des libertés, offrant une couverture juridique aux excès de l’exécutif. En validant systématiquement les décisions du gouvernement sans réel examen, la Cour confère une légitimité judiciaire à ce que Human Rights Watch décrit comme « un climat de peur » imposé par la junte.
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Dans son World Report 2025, l’ONG souligne que le gouvernement militaire guinéen a « intensifié sa répression des voix dissidentes », citant de nombreux cas d’arrestations arbitraires, de disparitions forcées et de harcèlement contre des opposants et des journalistes. Ces abus ne surgissent pas dans un vide juridique : ils sont facilités par des institutions comme la Cour suprême, qui ne contrôle plus le pouvoir mais le consacre.
Une justice instrumentalisée et politisée
Dans ce contexte, l’arbitrage international n’est plus un ultime recours : c’est le seul recours pour les entreprises confrontées à une justice nationale qui ne joue plus son rôle de contrepoids aux décisions arbitraires du pouvoir exécutif, mais les légitime.
En approuvant sans examen les actions les plus brutales du gouvernement, la Cour suprême de Guinée a abdiqué son rôle de gardienne de la légalité. Elle ne juge plus : elle obéit. Les principes fondamentaux de légalité, de sécurité juridique et de procédure régulière sont systématiquement érodés. Et les figures qui incarnent aujourd’hui cette institution, telles que Hawa Daraud Kourouma, symbolisent une justice qui ne protège ni les contrats, ni les droits civils élémentaires.
La Guinée ne manque pas de ressources. Ce qui lui manque, ce sont des règles. Investisseurs et citoyens ne réclament pas l’impunité, mais des institutions fonctionnelles, des processus prévisibles et des garanties juridiques. En leur absence, ce sont les tribunaux internationaux qui continueront de trancher les litiges liés à l’arbitrage guinéen. Et les opérateurs les plus crédibles voteront avec leurs pieds — en investissant dans des juridictions plus prévisibles, où les droits des investisseurs sont garantis.
par Sékou Camara, juriste

