Après avoir dirigé l’Union nationale des journalistes de Côte d’Ivoire (UNJCI) pendant deux mandats (1998-2002), Honorat De Yedagne se trouve légitime pour partager son expérience et proposer ses solutions à la crise qui secoue l’association des journalistes ivoiriens. A en croire l’ancien patron du journal gouvernemental Fraternité Matin, le clientélisme et l’achat de conscience sont à la base de cette crise.
L’argent, le nerf de la guerre à l’UNJCI (Honorat De Yedagne)
Je me vois dans l’obligation de vous donner un point de vue qui est le mien. Accordons-nous tout d’abord pour prendre de la hauteur voire de la distance par rapport au chaos qui nous menace.
Ce que révèle le système des procurations depuis 2012 et plus précisément en 2016 c’est l’institutionnalisation des élections par la fraude en l’occurrence l’achat de voix et de consciences (relisez Baudelaire Mieu).
Un tel système clientéliste délégitime le président élu qui n’est plus un lieu d’exemplarité, mais une machine à distribuer des prébendes : plaire pour se maintenir, exposant ainsi notre Union à un affaiblissement moral, une Union sans repères ni aucune référence, incapable de se projeter dans l’avenir et faisant donc du surplace…
C’est pourquoi il ne faut pas prendre la conséquence (c’est-à-dire le problème des procurations) pour la cause : la crise de légitimité et de leadership induite par la crise morale (achat de voix)…
N’est-il pas temps de réfléchir au rôle et à la place de l’argent dans nos élections ???
Un témoignage : lorsque j’étais candidat, au renouvellement de mon second mandat, un autre candidat m’avait proposé un deal de ce genre qu’il chiffrait à 2 millions de nos francs afin qu’il se retire en ma faveur… Je m’y étais catégoriquement opposé : je lui ai répondu : allons aux élections.
Lorsque nous introduisons l’argent dans les élections, nous cessons d’être des donneurs organiques de leçons face à nos grands donneurs d’ordre dans l’espace politique et économique ; et sans le vouloir tout en le voulant, nous devenons non la solution, mais le problème du « mal ivoirien » et donc partie intégrante de ce mal. Autrement dit, nous contribuons à notre façon à l’émergence par « l’économie du faux » qui gouverne notre pays depuis l’ère Houphouët…
Le « mal ivoirien » nous rattrape comme il a gagné tous les interstices de notre société. Ce mal hier encore ne touchait que nos rédactions et nos journalistes. L’UNJCI en avait été préservée pendant plus d’une décennie.
Aujourd’hui toute la Côte d’Ivoire sait désormais que ce mal était tapi dans notre organisation phare depuis longtemps… Le temps où on se battait pour que les Tapé Koulou et consorts restent loin de nous est révolu…
Les tenants de l’école de Tapé Koulou sont même à la manœuvre…Mais avec cette crise a l’UNJCI, nous avons touché le fond : les trois acteurs principaux se connaissent quant à leur aptitude à servir le faux pour se hisser au plus haut (relire encore Baudelaire Mieu).
Ils savent qu’ils peuvent compter sur notre précarité pour s’acheter des consciences serviles et des voix. Le journaliste ivoirien, à leurs yeux, a un prix, le prix du renoncement existentiel. Et évidemment à ce jeu, c’est le meilleur enchérisseur ou le plus nanti qui emporte la mise…
Est-ce pour autant qu’il faut abandonner ?
A l’image de la société ivoirienne, l’UNJCI a besoin d’une nouvelle verticalité. Nous nous devons vaille que vaille de restaurer notre organisation en lui redonnant de la colonne vertébrale pour lui éviter qu’elle soit le champ de prédilection des invertébrés moraux.
Toute solution à cette crise qui ne prend pas en compte cette exigence de verticalité, c’est-à-dire ce parti pris décisif pour des élections propres, sans achat de voix nous conduirait à hypothéquer l’avenir de notre Union. Les politiques nous infantilisent suffisamment au quotidien pour que nous-mêmes devenions les fossoyeurs de notre propre dignité…
A mes yeux, il y a deux façons de sortir de cette crise :
Une sortie de crise par le bas : la solution ASK et et de tous les tenants de la thèse fort réductrice selon laquelle ce n’est qu’un problème de définition des modalités d’utilisation des procurations.
Une sortie par le haut qui concilie l’exigence d’élections propres et le respect des textes sans donner dans le fétichisme et loin des « petits arrangements »…
Pour ma part, je suis du camp de ceux qui pensent que notre Union doit grandir si elle veut voir la Côte d’Ivoire grandir aussi. Lorsque nombreux seront ceux qui auront choisi le camp de la verticalité citoyenne, alors nous pourrons nous retrouver pour mettre les valeurs éthiques et citoyennes au service de notre Union en la faisant sortir à jamais de l’économie du faux qui n’a que tant prospéré dans nos rangs…
Honorat De Yedagne, président de l’UNJCI (1998-2002)