Présidentielle en Côte d’Ivoire : exclusions, arrestations et bras de fer juridique attisent la tension

Afficher les titres Masquer les titres

Abidjan — À moins de deux mois de l’élection présidentielle en Côte d’Ivoire prévu le 25 octobre 2025, le pays s’enfonce dans une séquence de crispations politiques : exclusions de figures majeures de l’opposition de la liste des candidats, décisions judiciaires contestées, refus de réviser les listes électorales et vague d’interpellations ciblant militants et cadres. Les autorités affirment respecter la loi électorale et l’ordre public. L’opposition dénonce, elle, une « fermeture du jeu » qui ravive le spectre des crises passées. 

Présidentielle en Côte d’Ivoire : pays sous haute controverse

La Commission électorale indépendante (CEI) a publié début juin une liste définitive qui écarte Tidjane Thiam (PDCI), Laurent Gbagbo (PPA-CI), Charles Blé Goudé et Guillaume Soro. Dans le cas de M. Thiam, ex-PDG de Credit Suisse, la décision s’appuie sur un arrêt judiciaire confirmant son inéligibilité en raison d’une nationalité française détenue au moment de son inscription, malgré une renonciation annoncée depuis. L’intéressé a contesté ce qu’il qualifie de « déclin démocratique ». Des milliers de ses partisans ont manifesté à Abidjan en juin pour protester contre cette décision.

Il faut noter que la révision de la liste électorale n’est pas une option, mais plutôt une obligation annuelle. Il aurait du être faite pour permettre aux nouveaux majeurs de prendre part au vote d’octobre prochain.

Le président Alassane Ouattara a pour sa part confirmé le 29 juillet qu’il briguerait un quatrième mandat. La constitution ivoirienne n’autorise que deux mandats. Sa candidature intervient dans un climat déjà fragmenté par les exclusions et par des débats juridiques toujours vifs autour de l’éligibilité et des règles du jeu. 

Pour l’opposition et le PPA-CI plus précisément, un quatrième mandat d’Alassane Ouattara ne sera pas possible. Elle compte utiliser tous les moyens légaux pour s’y opposer.

Le paramètre judiciaire : la Cour africaine déboute Gbagbo

Le 26 juin, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples a rejeté la requête de Laurent Gbagbo qui contestait sa radiation de la liste électorale, estimant que l’opposant n’avait pas établi de violation de ses droits par l’État ivoirien. Cette décision consolide, du point de vue des autorités, la position selon laquelle la CEI n’a fait que « tirer les conséquences » d’une condamnation pénale antérieure.

Laurent Gbagbo a été condamné à 20 ans de prison pour un supposé braquage de la BECEAO d’Abidjan. Chose curieuse, l’institution régionale ne reconnait aucun braquage. Elle a même refusé de se porter partie civile dans l’affaire par laquelle elle ne se sent pas du tout concernée.

Pour les partisans de M. Gbagbo, la dernière décision de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples entérine au contraire une exclusion politique. Il faut noter que cette cour avait auparavant exigé la réinscription de Laurent Gbagbo sur la liste électorale. La Côte d’Ivoire avait claqué la porte de cette institution pour éviter d’appliquer ses décisions. Le revirement de la Cour interroge donc.

Présidentielle en Côte d’Ivoire : Pas de révision du fichier électoral avant le vote

Le principal point de friction : la non-révision du fichier électoral avant la présidentielle. Le président de la CEI, Ibrahim Kuibiert Coulibaly, a indiqué qu’aucune révision n’aurait lieu d’ici le scrutin et il invoque pour cela un problème de calendrier et des contraintes opérationnelles. L’opposition y voit un verrouillage procédural défavorable aux candidats écartés et aux nouveaux inscrits. 

Une révision de la liste électorale est pourtant une obligation annuelle. Le RHDP, d’accord avec la CEI, refuse que se fasse une révision du fichier électoral qui aurait permis de régler le problème de Tidjane Thiam, depuis exclusivement ivoirien et donc totalement éligible, et de beaucoup d’autres ivoiriens.

Montée des interpellations et crispation sécuritaire

Dans ce contexte, plusieurs arrestations de cadres et militants du PPA-CI ont été dénoncées ces dernières semaines, sur fond d’incidents de sécurité à Abidjan. Le parti de M. Gbagbo parle d’« intimidations », tandis que les autorités invoquent des enquêtes liées à des violences et la nécessité de prévenir les troubles. Des rassemblements de l’opposition ont également eu lieu avec plusieurs centaines de milliers de partisans contre les exclusions, sans le moindre débordement. 

Au-delà du terrain partisan, des signaux liberticides nourrissent l’inquiétude d’ONG : en avril, Amnesty International a documenté l’arrestation à domicile puis la condamnation d’un leader syndical enseignant, Easy Dugarry, à deux ans de prison pour des faits liés à un appel à la grève, condamnation confirmée en appel en juillet. Les autorités défendent l’application de la loi ; les ONG y voient un climat dissuasif pour l’expression contestataire. 

Dans la nuit de lundi à mardi, Ibrahim Zigui, militant du PPA-CI, a été enlevé à son domicile. Ses proches n’ont aucune nouvelle de lui malgré des démarches auprès de la Direction de la surveillance du territoire (DST) et dans plusieurs commissariats de la ville.

Un journaliste proche du pouvoir d’Alassane Ouattara, Yacouba Doumbia, a annoncé sur les réseaux sociaux que l’activiste était détenu par les forces de l’ordre, sans préciser le lieu de sa détention. Les avocats et les proches de Zigui n’ont pas pu avoir accès à lui plus de 24 heures après son interpellation.

Une campagne sous contrainte, un passé lourd

Le pays aborde ce scrutin avec la mémoire encore vive des violences post-électorales de 2010-2011 et des tensions de 2020. Sur le volet international, l’acquittement définitif de M. Gbagbo et de M. Blé Goudé par la Cour pénale internationale en mars 2021 n’a pas éteint les différends internes liés aux responsabilités et aux condamnations domestiques, lesquelles continuent de produire des effets électoraux dans un camp. 

Plusieurs proches du régime d’Alassane Ouattara épinglés pour des crimes de guerre lors des troubles, des faits documentés par plusieurs ONG, sont jusque là impunis.

L’opposition qui se radicalise

La situation en Côte d’Ivoire est devenu préoccupante avec la position radicale affichée par l’opposition ces derniers mois. Laurent Gbagbo a annoncé qu’il n’y aura pas de 4e mandat. « Lors du 3e mandat, je n’était pas ici », a-t-il affirmé avant de faire comprendre qu’Alassane Ouattara ne va pas se maintenir au pouvoir en foulant au pied les règles constitutionnelles.

La situation est de plus en plus préoccupante à l’approche de la présidentielle en Côte d’Ivoire, preuve que le pays n’a pas évolué sur la question des scrutins ou le respect de ses règles démocratiques. Au Ghana voisin, les élections se déroulent plutôt autour des arguments de campagnes quand la Côte d’Ivoire reste sur les problèmes l’éligibilité. Alassane Ouattara a lui-même été inéligible, ce qui a favorisé la guerre de 2002, peu de temps après l’élection de Laurent Gbagbo.

Donnez votre avis

Soyez le 1er à noter cet article