Lancé par la créatrice Cha Kane pour valoriser et protéger le pagne africain comme patrimoine de l’Afrique, le Festival Abidjan Pagne revenait pour sa sixième édition avec une organisation d’envergure internationale et un titre parlant : l’industrie du pagne, quand l’Afrique parle au monde. La Maison de l’Afrique, le designer Alphadi, le ministère du Commerce et de l’Industrie, le Conseil du Coton et de l’Anarcade, le ministère de la Culture, la marque Uniwax, l’antropologue française Anne Grosfilley, des créateurs, des artisans africains et le gratin d’Abidjan se sont retrouvés les 27 et 28 octobre 2023 pour deux journées de célébration du pagne africain.
Un constat alarmant pour l’industrie du pagne africain
Bogolan du Mali, Kente du Ghana, le Kitenge d’Afrique de l’Est, pagne Baoulé de Côte d’Ivoire ou Wax d’Afrique de l’Ouest, l’industrie du pagne africain est un vecteur de fierté culturelle mettant en avant des motifs, des couleurs et des techniques de tissage qui racontent l’histoire du continent.
Autrefois objet d’apparat, source de fierté, accompagnant chaque étape de vie, le pagne a vu sa popularité décliner ces dernières décennies parmi la population africaine contemporaine au profit de vêtements occidentaux, reflétant un changement de préférences vestimentaires et de styles de vie.
Traditionnellement tissé à la main avec des fibres et teintures naturelles, le pagne est aujourd’hui de plus en plus confectionné à partir de produits synthétiques permettant de pallier le manque de matière première sur le continent et la pression de plus en plus forte des consommateurs à la recherches de tarifs bas.
Les produits industriels qui inondent les marchés africains à des prix très compétitifs participent également à mettre en péril ce riche patrimoine du tissage artisanal. Face à cette concurrence industrielle, les tisserands locaux, qui perpétuent des techniques ancestrales, sont menacés de disparaître et avec eux un savoir-faire séculaire.
Fort de ce constat, le Festival Abidjan pagne a réuni pour cette sixième édition des experts et passionnés venus de l’international pour travailler de concert afin de proposer des solutions concrètes de préservation et développement de ce riche patrimoine africain.
La mobilisation d’experts internationaux et acteurs du commerce du pagne
Protéger l’industrie du pagne africain ne peut se faire isolément. Aussi, pendant les deux jours du Festival Abidjan Pagne, des experts internationaux et des acteurs du commerce du pagne ont été réunis pour partager leurs réflexions en la matière. A l’instar de Anne Grosfilley, anthropologue française, spécialiste du pagne africain, qui a inauguré le festival avec une conférence sur l’histoire du pagne africain.
Invitée par La Maison de l’Afrique, partenaire privilégié du festival, son objectif était clair : démonter que le pagne est un patrimoine précieux que le continent doit préserver avec fierté et considération.
« Nous pouvons remonter jusqu’à mille ans pour comprendre l’histoire du pagne africain, le travail, la connaissance qu’exige la création de ce patrimoine tristement dévalorisé par les nouvelles générations. Si des marques comme Dior font des collections entières en utilisant du pagne africain, c’est parce qu’elles considèrent que c’est un produit de luxe à la hauteur de leurs exigences.
Le pagne est la mémoire du continent africain, un support qui véhicule son histoire. Le délaisser au profit de produits industriels venus d’ailleurs c’est renoncer à un savoir-faire et une richesse propres au continent africain », a-t-elle signalé à l’occasion de sa conférence.
Également interrogés sur les solutions de protection et de développement du pagne face à la concurrence mondiale, le designer Alphadi, le Ministère du Commerce et de l’Industrie, le Conseil du Coton et de l’Anarcade ont exposé leurs pistes de réflexion et stratégies à venir.
Des solutions concrètes pour le rayonnement international du pagne africain
« La préservation de l’industrie du pagne africain nécessite des solutions pratiques et durables. Les gouvernements africains et les organisations internationales devraient collaborer pour développer des politiques et des incitations qui soutiennent cette industrie. Cela pourrait inclure des soutiens financiers pour une production locale plus importante, des campagnes de sensibilisation pour promouvoir l’utilisation de matières naturelles, et la création de centres de formation pour les jeunes artisans » a indiqué le designer nigérien, Alphadi.
Parmi les quelques solutions évoquées à l’occasion des panels par le collège d’experts présents :
- formation : investir dans la formation des artisans et des tisserands locaux pour améliorer leurs compétences et leur expertise dans le tissage du pagne traditionnel,
- promotion des fibres naturelles : encourager l’utilisation de fibres naturelles africaines, telles que le coton, le lin, le jute et la soie, pour la fabrication de pagne, favorisant ainsi la durabilité et la valorisation des ressources locales,
- fabrication locale : soutenir la transformation locale de matière première, du fil au produit fini,
- promotion de la créativité et du design : encourager les designers africains à intégrer des motifs et des styles traditionnels dans des créations contemporaines pour attirer un public plus large,
- protection de la propriété intellectuelle : mettre en place des mécanismes pour protéger les motifs et les techniques de tissage traditionnels contre la contrefaçon et l’appropriation culturelle,
- sensibilisation et éducation du public : informer les consommateurs sur l’importance culturelle et économique du pagne africain, encourager l’achat de produits authentiques et soutenir le respect des traditions locales.
Encourager la créativité autour du pagne africain
Pour servir de catalyseur, stimuler la créativité et l’innovation, un concours d’accessoires autour du pagne africain a été créé depuis la première édition. En mettant en avant le pagne africain comme matériau de base, ce concours offre aux participants une plateforme pour explorer des designs uniques, valoriser les talents locaux et célébrer la richesse culturelle de l’Afrique. Une opportunité passionnante pour encourager la fusion de la tradition et de la modernité dans le domaine de la mode et des accessoires.
Pour clôturer cette sixième édition du Festival Abidjan Pagne, c’est donc autour du défilé réunissant des accessoiristes venues cette année du Bénin, Cameroun, Burkina Faso, Togo et Côte d’Ivoire que plus de huit cent invités se sont réunis avec un panel de jury de renom.
A l’unanimité, la victoire a été attribuée à Marie Audile Angbozan, l’accessoiriste ivoirienne.
Le Festival Abidjan Pagne avec cette sixième édition internationale a démontré sa capacité à mobiliser les acteurs autour la protection du patrimoine textile africain. En rassemblant des artisans, des créateurs, des historiens et des experts en textiles, il crée un espace propice à la valorisation de techniques traditionnelles, à la recherche de solutions concrètes pour développer, protéger cette industrie ancestrale tout encourageant la création de produits compétitifs, contribuant ainsi à revitaliser et à sauvegarder le pagne africain.
Crédit photo DR Sool Images