Guillaume Soro, figure politique bien connue en Côte d’Ivoire, ancien chef rebelle, ancien premier ministre et ancien président de l’Assemblée Nationale ivoirienne, a récemment suscité l’attention médiatique en déclarant être visé par un enlèvement orchestré par un groupe d’individus provenant de la Côte d’Ivoire en route pour la Turquie. Cependant, l’histoire prend un tournant étrange lorsqu’il est rapidement annoncé par son parti politique, le GPS (Générations & Peuples Solidaires), que Guillaume Soro est en sécurité et n’a pas été enlevé. Cette situation soulève de nombreuses interrogations et invite à une analyse approfondie.
La curieuse affaire de l’enlèvement de Guillaume Soro
Tout d’abord, il est important de noter que Guillaume Soro est actuellement en marge de la politique ivoirienne. En exil en Europe, suite à un mandat d’arrêt émis contre lui et une condamnation à 20 ans de prison de la justice ivoirienne, l’ancien leader du MPCI risque l’arrestation s’il revient en Côte d’Ivoire. Ces derniers temps, Guillaume Soro ne faisait parler de lui que pour souhaiter ses condoléances à la famille du PDCI qui a perdu plusieurs de ses cadres. D’abord le Président Henri Konan Bédié et le Général Gaston Ouassénan Koné sont décédés ces derniers mois. Autrement, l’ancien Premier ministre de Laurent Gbagbo et d’Alassane Ouattara est inexistant dans l’actualité politique en Côte d’Ivoire en ce moment.
En Côte d’Ivoire, la montée en puissance de Tidjane Thiam, pressenti pour prendre la tête du parti politique le PDCI RDA et qui se prépare à une éventuelle candidature à la présidentielle de 2025 en Côte d’Ivoire, semble avoir éclipsé Soro et les autres leaders politiques des yeux des Ivoiriens. On voudrait atténuer l’effet de cette montée en puissance de cet homme non clivant, qui s’inscrit dans les aspirations des Ivoiriens d’une alternance politique sans crise, qu’on ne s’y serait pas pris autrement.
Les successives publications de GPS annonçant une traque contre son leader visaient peut-être à raviver les passions, mais la mayonnaise a eu du mal à prendre. Générations et Peuples Solidaires a annoncé dans un premier temps qu’un « commando » était « présent à Istanbul pour kidnapper M. SORO »
L’annonce de son supposé enlèvement a été perçue par beaucoup comme une tentative désespérée de Guillaume Soro pour regagner de la visibilité politique. La question qu’on se pose tous est de savoir si cette histoire d’enlèvement est authentique ou s’il s’agit d’une mise en scène.
Une chose est certaine, la politique en Afrique ne permettant pas d’afficher des certitudes sur les décisions que peuvent prendre certains dirigeants, il serait hasardeux de tout balayer du revers de la main. Mais pour autant, certaines interrogations méritent tout de même leur existence dans cette supposée tentative d’arrestation de Guillaume Soro.
Ce qu’il y a de frappant dans les communications de GPS, c’est le degré d’information dont Guillaume Soro disposait concernant son supposé enlèvement. Ces précisions ont soulevé des doutes quant à la crédibilité de l’alerte à la lecture du second communiqué disant que Guillaume Soro a embarqué dans un avion vers la destination soi-disant devenue dangereuse pour lui. Le communiqué intitulé « Guillaume Soro toujours porté disparu ».
Cette communication cherchait à faire croire que Guillaume Soro aurait décidé de défier ses supposés enleveurs puisqu’il aurait pris un avion à destination du lieu où il est supposé se faire arrêter. Comment aurait-il pu faire ce voyage malgré les détails dont il dit disposer sur l’opération de son enlèvement supposé ?
Le revirement de son parti politique ce samedi 4 novembre, affirmant « Guillaume Soro désormais hors de danger » termine de convaincre d’un caractère amusant de l’affaire.
L’opinion publique en Côte d’Ivoire semble largement sceptique quant à la véracité de cette affaire d’enlèvement. Beaucoup considèrent que Guillaume Soro a peut-être inventé cette histoire pour regagner de l’attention politique. Dans un pays où les enjeux politiques sont élevés et la compétition pour le pouvoir est devenue intense, la stratégie de la victimisation est parfois utilisée pour galvaniser le soutien et attirer l’attention des médias.
Quel intérêt aurait autrement le Président Alassane Ouattara à remettre en scène Soro par son arrestation alors qu’il est effacé de la scène politique ?
Il est cependant vrai que certains conseillers du parti au pouvoir, sans doute troublés par le silence prolongé de Guillaume Soro et l’absence de débats houleux sur la scène politique ivoirienne, ont pu suggérer de recréer une certaine ambiance.
Il faut le noter, le climat actuel de paix profite à Tidjane Thiam qui n’a d’histoire avec personne en Côte d’Ivoire. Aussi bien avec Laurent Gbagbo qu’avec Alassane Ouattara, les deux leaders charismatiques de la politique ivoirienne, l’administrateur de Kering entretient d’excellents rapports.
Centré sur les sujets de l’éducation, de l’économie et du développement du pays, l’ex-patron de Crédit Suisse serait marginalisé si le débat politique devait de nouveau porter sur les antagonismes.
Il est tentant pour des conseillers du RHDP de ramener un peu plus de tensions dans le débat politique. C’est le principal moyen pour les partis politiques de resserrer le rang de leurs militants. Avec le parti au pouvoir, certains supporters sont découragés par une gouvernance qui ne leur apporte rien de ce qu’ils espéraient. Si certains s’en sortent clairement mieux avec l’ex-RDR au pouvoir, des militants non liés aux preneurs de décision nagent eux dans la même désillusion que beaucoup d’Ivoiriens. Une des façons de les amener à rester accrochés à la case peut être de faire croire qu’une menace plane.
La réémergence d’une ambiance de crise politique peut porter un coup d’arrêt à la rapide et harmonieuse montée en puissance de Tidjane Thiam. Voilà qui ferait d’une pierre deux coups. Si le débat politique en Côte d’Ivoire devait à nouveau porter sur les personnes, les gentils ou les mauvais, les vrais Ivoiriens et les faux…, les vrais surjets que se prépare à débattre Thiam seraient éclipsés du débat national. Une façon de combattre un leader sans jamais s’attaquer directement à lui.